Vidéos Les femmes qui écrivent sont-elles dangereuses ? au Sénat, 6 mars 2020

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Les femmes qui écrivent sont-elles dangereuses ?
Au Sénat - Palais du Luxembourg, Suzanne Dracius est l’une des deux « accusées » dans le grand procès des écrivaines *, vendredi 6 mars 2020 :

Accusée, j’assurerai ma propre défense en plaidant d’une manière métissée comme ma propre personne, c’est-à-dire en plaidant à la fois coupable et non coupable, et même victime et aussi complice et receleuse. Je suis coutumière du fait, voire multirécidiviste ; la preuve : un ouvrage collectif d’universitaires d’Europe, des USA, de Grande-Bretagne etc s’intitule MÉTISSAGES ET MARRONNAGES DANS L’ŒUVRE DE SUZANNE DRACIUS.

Les écrivaines ne sont dangereuses qu’aux yeux de ceux qu’elles combattent, et c’est une excellente chose. Car les femmes qui écrivent sont des oxymores vivants – et parfois des zombis –, elles présentent un danger utile, notamment pour les « sans voix ».

Je ne suis pas une féministe castratrice ! Ce que je vise, c’est l’harmonie, une féminitude qui rime avec plénitude.

En référence à Simone de Beauvoir, à l’instar de la Négritude, avec le même suffixe latin, j’ai opté pour la féminitude, désignant l’attitude, la posture revendiquée de femmes, l’ensemble des valeurs propres aux femmes (à distinguer de la féminité, état ou qualité intrinsèque de la femme), qui peuvent être perçues péjorativement ou de manière caricaturale – comme quand on dit « elle est très féminine ». Mon féminisme se pose, en parallèle à l’anticolonialisme, comme une prise en compte de l’altérité. « Féminitude » rime avec « négritude », qui permet de se sentir bien dans sa peau de nègre ; la féminitude permet de se sentir bien dans sa peau de femme. Et ça fait du bien aux hommes aussi !

« Féminitude » n’est pas un néologisme : une occurrence se trouve dans un entretien entre Beauvoir et Sartre où ce dernier parle de valeurs proprement féminines, valeurs secondaires par rapport à une réalité féminine éternelle, et Beauvoir intervient : « Vous posez là une autre question, celle de la “féminitude”. Personne, parmi nous, n’admet l’idée qu’il y a une nature féminine ; mais est-ce que, culturellement, le statut d’oppression de la femme n’a pas développé en elle certains défauts, mais aussi certaines qualités, qui diffèrent de ceux des hommes ? ».

De même, la négritude permet de se sentir bien dans sa peau de nègre, mais pas seulement : de manière universelle, comme l’affirme Césaire dans son Cahier d’un retour au pays natal, où apparaît la première occurrence du néologisme « négritude », créant, – à partir d’un mot injurieux, « nègre », naguère synonyme d’ « esclave », dont la connotation péjorative est telle qu’il provoque la honte –, un mouvement humaniste à destination de tous les opprimés du monde, tous les « damnés de la terre », selon l’expression de Fanon.

Assurément, et avec assurance, pour sortir de leur condition minorée, les écrivaines sont dangereuses, mais en bonne part et en légitime colère, en légitime défense, quand elles s’érigent contre l’abjection, quand elles écrivent à quel point la gent féminine est non seulement victime de discrimination, d’infériorisation, voire de relégation, mais précipitée dans l’abjection au sens étymologique – du latin ab, « loin de », et jacio, « jeter » –, dernier degré de l’abaissement et de la dégradation qui fait tomber la femme la tête la première dans le mépris et l’opprobre, loin de toute considération…

J’ai en moi quatre continents et demi, en tant qu’« afrodescendante » – je préfèrerais « afromontante » – « descendante d’esclave », je me sens doublement proche d’Ésope, Éthiopien esclave, ce qui me ravit, moi qui, paradoxalement, ne suis pas d’un modèle très répandu, du fait de mon extrême métissage, tout en étant typiquement martiniquaise, née à Fort-de-France, avec en moi quasiment tous les sangs qui se sont mêlés plus ou moins volcaniquement : le sang de l’Africaine déportée en esclavage, du colon français blanc que nous appelons « béké », des Indiens à plumes et sans plumes (Caraïbe métissé d’Arawak, c’est-à-dire Amérindien, et Indien de la vraie Inde – pas les West Indies – amené après l’Abolition de l’esclavage de 1848, surnommé pas très gentiment « kouli »), et une arrière-grand-mère chinoise pour pimenter le tout, donc l’Asie en double, avec l’Inde et la Chine. Je suis humaine, avant tout.

Et je n’y perds pas mon latin : « Homo sum, a me nihil humanum alienum puto » (« Je suis un être humain, rien d’humain ne m’est étranger ») ; ça prend toute sa résonance, si l’on se souvient que cette sublime phrase est de Térence, ancien esclave, le premier écrivain originaire d’Afrique à s’illustrer en littérature latine… et universelle.

Mais tout le monde vient d’Afrique, n’en déplaise aux esprits chagrins. Tout le monde est plus ou moins métis. « Il n’y a qu’une seule race, l’humanité », dixit Jaurès. (En tous cas, le racisme ne passera pas par moi : il ne saurait par quel pore de ma peau s’infilter.)

L’intersectionnalité, je la subis de plein fouet, ce fouet qui cingla le corps de mes ancêtres esclaves et, par-dessus le marché, en plus de la vente à l’encan en tant qu’humaine marchandise, être pire, être marchandise féminine, vendue moins cher que les hommes, avec tout ce que cela comporte d’esclavage dans l’esclavage, d’oppression au mitan de l’oppression, le fouet qui força le corps des esclaves femmes, souvent dans un contexte de viol, violence sur violence. Écrire c’est s’émanciper au sens étymologique, du latin ex, « hors de », et mancipium, « marchandise », échapper au statut de « meuble » comme le stipulait le funeste Code noir signé par Louis XIV, et d’éternelle mineure, comme l’imposait le Code civil alias Code Napoléon, funeste pour les femmes.

Descendante de personnes esclavées qui n’avaient pas le droit d’apprendre à lire et écrire, même avec ma petite couleur claire, lapo sové « la peau sauvée » – sous-entendu de la pseudo-malédiction de la noirceur –, j’aurais dû me battre et risquer d’être battue si j’avais voulu écrire, sauf si j’avais été émancipée.

Tiens, on féminise volontiers « mineur » mais pas « docteur » ! Pourtant, en latiniste impénitente, je peux assurer que les deux ont exactement la même formation, à partir de comparatifs d’adjectifs de formes identiques au masculin et au féminin, « minor », signifiant « plus petit » ou « plus petite », et « doctior », « plus savant » ou « plus savante ». Donc « une docteure » est parfaitement correct et n’est un danger que pour les grands malades atteints d’une incurable misogynie galopante, de phallocratie congénitale ou de machisme à un stade avancé.

* Organisé par l’Assemblée des Femmes et le Parlement des Écrivaines francophones.

https://www.facebook.com/naya.nb.9/videos/1273505629520619/

 Vidéo : Suzanne Dracius "accusée"

 Vidéo : Suzanne Dracius "acquittée"

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