Inauguration de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts
Inauguration de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, où François Ier édicta en 1539 l’ordonnance faisant du français la langue officielle du droit et de l’administration, en lieu et place du latin (alors qu’elle ne porte que sur le domaine de la Justice et n’exclut pas en réalité l’usage des autres langues de France, d’autant que son objectif est que les parties prenantes à un procès comprennent ce qui s’y dit), et où naquit en 1802 Alexandre Dumas, le créateur des personnages de roman les plus connus au monde, LES TROIS MOUSQUETAIRES, petit-fils de l’esclave noire Cessette, de Saint-Domingue, l’actuelle Haïti, « où la négritude se mit debout pour la première fois et dit qu’elle croyait à son humanité », dixit Césaire.
La langue française, j’y pénètre comme dans une habitation ouverte, une habitation offerte ; j’emploie intentionnellement ce mot « habitation » qui réfère à la plantation dans le système esclavagiste, car c’est une habitation où je ne suis pas esclave, si ce n’est du bon goût, de l’esthétique et du respect de la syntaxe.
Le français, c’est une habitation d’où je peux marronner à ma guise, en totale liberté, ad libitum, une habitation dont je ne suis pas propriétaire mais dont j’ai la jouissance et où j’invite qui je veux : j’y fais entrer le créole, mais j’y convie aussi le latin et le grec, cette culture gréco-latine qui a renforcé ma complicité avec Césaire. Ces langues, ces « humanités » irriguent, innervent mon écriture en une relation entre passé et modernité axée vers un néo-humanisme. J’aime jouer avec les mots et adopter des néologismes, tel ce mot « féminitude », comme une façon d’apprivoiser le féminisme si décrié, dans une même démarche universelle que le concept de négritude, pour se sentir bien dans sa peau de femme, ce qui fait du bien aux hommes aussi !
Martiniquaise 100% métisse, j’ai en moi quatre continents et demi, quasiment tous les sangs qui se sont mêlés en Martinique plus ou moins passionnément : sang de l’Africain esclavé, du descendant de nègre marron du nord de l’île, du colon blanc de France, de l’Indien de la vraie Inde – pas des "West Indies, que l’on a fait venir après l’abolition de l’esclavage –, des rares Amérindiens qui ont survécu, et, pour pimenter le tout, d’une arrière-grand-mère chinoise. Je suis de cette île qui est un univers clos, mais je ne m’y sens pas enfermée : mon insularité est ouverte sur le monde, cette île est un microcosme où circulent une multitude de cultures, où nous avons accès au monde entier. Je suis une insulaire positive. Cela a donné à mon écriture une mosaïque de couleurs, un patrimoine linguistique multiple, un imaginaire singulier et pluriel à la fois.
Pour ma part, en descendante de personnes esclavées – verbe que m’autorise Ronsard, puisque personne n’est esclave par nature ; bien sûr, le poète du XVI e siècle l’emploie dans un discours amoureux, se plaignant de ce que l’on a « esclavé » son cœur –, je confesse que cela ne me déplaît pas que soit mise en pratique l’exhortation de Césaire à Depestre :
« et pour les grognements des maîtres d’école
assez
marronnons-les Depestre marronnons-les
comme jadis nous marronnions nos maîtres à fouet
[…]
rions buvons et marronnons !
[…]
Que le poème tourne bien ou mal sur l’huile de ses gonds
fous-t-en Depestre fous-t-en laisse dire Aragon ».
Extrait de SCRIPTA MANENT * :
AFROASCENDANCE
Afrodescendante, afrodescendante...
Plutôt qu’afrodescendante,
elle se sent afromontante :
non, ses racines africaines ne l’entravent pas. Bien au contraire, en femme debout,
en Caribéenne surtout,
elle sent que, grâce à elles,
tel un arbre elle pousse, elle s’élève.
Elle ne se prend pas les pieds dans ses racines.
En équilibre, libre, elle danse.
Elles sont aériennes, ses racines,
ascensionnelles, sensationnelles,
à l’instar des racines du palétuvier
dans la mangrove nourricière qui donne naissance à des métis, mangles grises ou mangles blanches,
amphibies, ambivalents, vivipares pour se propager :
les graines, plutôt que de risquer d’être noyées ou asphyxiées dans l’eau salée,
à la merci des marées,
germent à même l’arbre, et, de cet élan germinal, un surgissement de jeunes plantules,
triomphant de l’ennoiement,
échappé de l’ergastule,
se détache de l’arbre mère
pour se ficher directement dans la vase.
Émulsion, émulation. Élévation.
Elle ne se sent pas qu’africaine, elle se sent caribéenne,
riche de ses ascendances multiples,
de ses ancêtres indiens à plumes et sans plumes,
amérindiens et « koulis mangé chien », de ses aïeux békés,
tous plus ou moins déshérités
(puisque même l’ancêtre blanc n’était, dans le meilleur des cas,
qu’un pauvre cadet de famille désargenté,
à une époque où seul l’aîné héritait,
envoyé chercher fortune aux colonies,
bâton levé, mèche allumée mais bourse plate),
et, pour pimenter le tout,
de son arrière-grand-mère chinoise, tous des damnés de la terre, elle en est fière,
d’être issue de cette résistance,
de cette dissidence,
de cette résilience,
de cette immanence triomphant des contingences,
par-delà les océans et les ans,
de cette aptitude à survivre,
faisant fi de traites et trafics.
Et puis, tout le monde vient d’Afrique,
tout le monde est afroascendant,
proclament désormais les savants,
preuves à l’appui, n’en déplaise aux esprits chagrins.