Opposition métisse : le marron au féminin dans "Rue Monte au ciel" Synopsis de l’article de Bénédicte Boisseron

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Opposition métisse : le marron au féminin dans Rue Monte au ciel
Synopsis de l’article de Bénédicte Boisseron
University of Montana, USA

Dans Rue Monte au ciel, Suzanne Dracius présente la couleur marron de la métisse comme symbole d’opposition associée au marronnage de l’esclave, ainsi l’auteur utilise cette couleur comme métaphore filée donnant cohésion à l’ensemble. Au-delà de la structure narrative, cependant, le marron dans Rue Monte au ciel a aussi pour principale fonction d’aborder le problème de la résistance au féminin dans la littérature martiniquaise. Le marron de Dracius s’appuie sur, mais aussi dépasse et subvertit une tradition littéraire martiniquaise initiée par Edouard Glissant et reprise par les créolistes Raphaël Confiant et Patrick Chamoiseau fondée sur un travail de réhabilitation de l’image du nègre marron. Selon Glissant, même si le nègre marron a commis des actes répréhensibles, “il n’est reste pas moins […] que le nègre marron est le seul héros populaire des Antilles, dont les effroyables supplices qui marquaient sa capture donnent la mesure du courage et de la détermination” (Le discours antillais 104). Confiant et Chamoiseau ont poursuivi ce travail de récupération dans leurs oeuvres romanesques par un recours en force à l’image du nègre marron comme modèle de résistance contre l’hégémonie occidentale. Cette volonté de réhabilitation chez les écrivains martiniquais a atteint dans les années 90 une ampleur telle que, comme le soulignent Ottmar Elte et Ralph Ludwig, “il n’y a guère, sauf Haïti, de pays à la Caraïbe où le mythe du Nègre marron ne soit plus qu’à la Martinique envahissant et puissant, et cela surtout en littérature » (26). Selon le modèle d’Aimé Césaire qui avait, dans son poème “Le verbe marronner », invité le poète Haïtien René Depestre à un marronnage intellectuel contre la prosodie classique française, la littérature de Glissant, Chamoiseau et Confiant se veut marronnage littéraire.
Dracius offre un deuxième volet au travail de réhabilitation du nègre marron dans la littérature martiniquaise en soulevant la question souvent laissée tue du rôle de la femme dans la tradition marronne. En s’appuyant sur la distinction que Richard Burton, dans Le roman marron, donne entre résistance “en dehors du système” et opposition “à l’intérieur du système”, on observe que Dracius achève une carte littéraire martiniquaise jusqu’alors incomplète car souvent uniquement fondée sur un travail de résistance, c’est-à-dire sur une fuite hors du système du nègre marron. La femme martiniquaise que nous présente Dracius est un personnage qui affiche une forme de marronnage de l’intérieur car elle est une métisse d’opposition. Elle doit aujourd’hui afficher son passé de couleur marron (rencontre entre le maître et l’esclave femme) comme une force moderne, elle doit voir le viol ancestral comme un défi qu’elle surmontera. La femme martiniquaise doit assumer seule sa rencontre avec le maître puisque l’esclave est symboliquement parti en rébellion. Elle devient la Mulâtresse Solitude qui, s’il le faut, montera seule à l’échafaud : « Que rêver de mieux, comme triptyque symbolique, pour une créature déliée, être marron de naissance, de volonté et de peau, future créatrice débridée, délibérément marronne, en littérature comme partout » (Rue Monte au ciel, « Chlorophyllienne création », Dracius). Depuis Franz Fanon et Peau noire, masques blancs, le coït entre l’homme noir et la femme blanche est schoelchérien, signe de victoire contre l’esclavage, quand celui de la femme noire et de l’homme blanc est marqué par l’aliénation raciale de Mayotte Capécia (Je suis Martiniquaise). La femme martiniquaise lutte seule, chez Dracius, de l’intérieur d’une chambre de bonne dans son ouvrage Rue Monte au ciel, de l’intérieur d’une littérature martiniquaise souvent trop phallocentrique, de l’intérieur de sa peau marron marquée par sa rencontre avec Capécia, et surtout de l’intérieur d’un système qui l’a souvent exclue d’une tradition de marronnage.

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