Sur « LES TROIS MOUSQUETAIRES ÉTAIENT QUATRE »

Réponses aux questions des traducteurs
dimanche 22 janvier 2012
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DANS « LES TROIS MOUSQUETAIRES ÉTAIENT QUATRE » :

– Dans cette nouvelle, j’ai voulu que le personnage central, qui se fait appeler
« Yich Limina », reste androgyne jusqu’au bout. Personne, pas même moi, ne peut décider que c’est une femme ou un homme. C’est fait exprès, car son problème n’est pas un problème de genre, il n’est pas lié à la condition féminine. « Yich Limina » est volontairement le seul personnage principal de Rue Monte au ciel qui ne soit pas féminin. Dans « La Virago », je laissais volontairement planer le doute, en prenant soin de n’utiliser ni adjectifs, ni participes passés qu’il aurait fallu accorder en mettant la marque du féminin, car je voulais ménager un suspense, et que l’on ne découvre qu’à la fin qu’il s’agit d’une femme. Mais « Yich Limina », par contre, n’est pas forcément une femme.

– Femme, féminine, mais au féminin pluriel, voilà comment je me vis, voilà comment j’écris, dans ce que j’appelle ma "féminitude", inventant ce néologisme avec ce suffixe -tude, forgé comme dans négritude, pour caractériser un statut assumé. Par contre, parfois je laisse planer un doute sur le sexe d’un protagoniste. Dans « La Virago, » le personnage à moto, jusqu’à la dernière minute, est « L’être de cuir, de plastique, de plexiglas et de métal », pour aborder un aspect de la condition féminine et des discriminations sexistes. Dans « Les trois mousquetaires étaient quatre », je m’ingénie à créer un personnage sans genre apparent identifiable, un être « androgyne […] en gros jean, » en n’usant d’aucun adjectif accordé au féminin ou au masculin, exprès pour créer l’équivoque… C’est un petit travail stylistique assez excitant et bien utile.

En l’occurrence, dans « Les trois mousquetaires étaient quatre », comme je voulais que le personnage central soit homme ou femme indifféremment, n’importe lequel des deux – parce que son problème est identitaire, existentiel, mais n’a pas de genre – je me suis appliquée à ne jamais le (ou la) qualifier par un adjectif, qui aurait dû porter la marque du féminin ou du masculin. J’ai utilisé la 2ème personne, car le "tu", à la différence du "il" ou du "elle," n’indique pas s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille. Le choix de telle ou telle instance narrative et de tel ou tel procédé stylistique est déterminé par mes intentions, un pan de mon projet d’écriture. Par exemple, si, au lieu d’écrire
« Tu te plongeas dans le dictionnaire, » (page 113) j’avais écrit au passé composé et non au passé simple, j’aurais dû opter pour le féminin ou le masculin (« Tu t’es plongée » ou « Tu t’es plongé »). J’ai donc employé le passé simple dans tout ce récit, afin d’éviter les éventuels participes passés, qu’il aurait fallu accorder au féminin ou au masculin. Or je ne le voulais pas, mon intention étant, au contraire, d’aborder un thème valable pour tous les Martiniquais, tous les Antillais, tous sexes confondus, et, in fine, valable pour tout le monde, sans distinction de genre, à savoir la relation avec Haïti (« Haïti où la négritude se mit debout pour la première fois », dixit Césaire), et avec le Caribéen Alexandre Dumas, « l’écrivain français le plus mondialement réputé, » n’en déplaise aux esprits chagrins qui s’acharnent à imputer un nègre littéraire au mulâtre. (Un “ghostwriter”, un écrivain qui écrit en sous-main, alors qu’un autre signe le livre. En français, un “nègre” ; donc cela crée un jeu de mots, puisque Dumas est mulâtre.)

– page 111 : « Tu leur parles d’union parfaite, de communion idéale, de fusion, histoire de rire. Ça ne les fait pas marrer du tout. » :
le personnage « Yich Limina » essaie de se détendre et de détendre l’atmosphère. Mais les policiers n’ont pas envie de rire, ils se prennent au sérieux ; ils sont bêtes, incultes et bornés.

– 111 : « Et d’épeler » signifie : « Alors (le personnage) commence à épeler le nom en détachant bien chaque lettre ».

– p. 112, « le bottin… de Martinique, ce n’est pas le bout du monde »
C’est l’idée que la Martinique est minuscule, donc l’annuaire téléphonique (communément appelé « le bottin », comme on dit « un frigidaire » ou « des kleenex », alors que ce sont des marques de réfrigérateur ou de mouchoirs en papier) est tout mince, contrairement aux annuaires de France.
L’expression française « ce n’est pas le bout du monde » n’a rien à voir avec la distance, l’éloignement, mais signifie « ce n’est pas grand-chose », « c’est peu de chose », « c’est négligeable » ; dans ce contexte, la phrase veut dire que quand on est frappé avec l’annuaire tout mince de Martinique, on ne risque pas d’avoir tellement mal, puisqu’il n’est pas bien gros.
Au passage, un peu d’ironie avec un jeu de mots : le bottin mondain est un annuaire du « beau monde », des célébrités, des grands de ce monde, des gens qui ont une vie mondaine, des gens en vue, des « people ». Or il y en a très peu, en Martinique, de ces gens-là, donc notre annuaire n’est pas un bottin mondain : « le bottin rien moins que mondain ». (L’expression « rien moins que » signifiant « pas du tout ».)

– 113 : « Vendeur » a, ici, le sens de commercial, permettant de bien vendre, attractif, valorisant. « Ce n’est pas vendeur » signifie « ça ne donne pas envie d’acheter ».

– 114 : "décorcelé" (citation des Trois Mousquetaires d’A. Dumas) : qui a retiré le "corset" de son armure ("sans haubert et sans cuissards", dit la suite de la phrase de Dumas : sans l’armure du chevalier).

– 115 : « bidet » : le mot "bidet" est ici au sens familier de cheval. (C’est d’ailleurs ce vieux sens qui a donné le sens de bidet de salle de bains, puisqu’on s’y met à cheval pour se laver l’entrejambes.)

– 117 : Le « parce que » porte sur « préméditation » qui précède : les policiers accusent Yich Limina de « préméditation » PARCE QUE Yich Limina n’a pas agi sous le coup d’une émotion, PARCE QUE il a préparé son coup À L’AVANCE : Yich Limina a fait faire à l’avance les plaques où il a fait inscrire le nom d’Alexandre Dumas. Le point d’interrogation s’explique ainsi : pourquoi l’accusation de “préméditation” ? L’accuse-t-on de préméditation parce qu’il a fait graver à l’avance les plaques au nom de Dumas ? Ça ne paraît pas sérieux (d’où l’expression : “Tu parles !” qui signifie “c’est de la blague, ce n’est pas une accusation sérieuse ”).

– 117 : « Gun » : anglicisme passé dans l’argot français : le mot anglais signifiant arme à feu, pistolet, revolver, fusil.

– 122 : Le « 93 » : le département de banlieue parisienne, la Seine-Saint-Denis (banlieue pauvre, pas chic du tout) qui fait souvent parler de lui en mal (trafics de drogue, incendies de voitures etc.), où il y a beaucoup de voyous, ce qui explique que le Chabin parle vulgairement.

– 122 : « de guerre lasse » : expression bien française, très ancienne, telle quelle, invariable, signifiant qu’une personne en a assez de se battre et finit par céder, renoncer à lutter.

– 123 : « Ou-oustre » : exclamation, interjection créole ironique exprimant un étonnement faussement admiratif, signifiant à peu près Ouh la la ! Ben dis donc ! Bigre ! Mazette !