Apophtegmes de confinés Écrire en mon île confinée, 23e jour de confinement

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Apophtegmes de confinés
Les anonymes se déchaînent en tous domaines. Lettres anonymes de menaces, dans une orthographe inhumaine, aux soignants et même aux pompiers, fake news et rumeurs enflent et éclatent comme d’énormes bulles de savon, ce savon dont les gens devraient se frotter plus souvent les mains à la pierre ponce et dont les puissants se lavent les mains à la Ponce Pilate en nous condamnant à être confinés sans même préciser combien de temps, car c’est une vraie condamnation, une vraie privation de liberté, comme des bandits nous sommes prisonniers, mais des détenus sans faute ni inculpation, emprisonnés sans jugement, comme des coupables, alors que nous n’avons commis aucun crime ; et même on nous pénalise pour avoir fait quelque chose que, en temps normal, on nous encourage à faire : de l’exercice, du sport, pour les mêmes raisons, raisons de santé, mais non, attention, le sanitaire l’emporte sur la santé ! Le salut individuel s’efface devant l’intérêt général de la nation. Si nous ne respectons pas ce satané confinement de plus en plus strict on nous pourchasse et nous punit, nous culpabilise, nous harcèle et nous menace de la vraie prison.
Pourquoi sommes-nous emprisonnés comme des condamnés puisque nous ne sommes tout de même pas coupables de la pandémie ? Et l’on nous culpabilise et l’on nous verbalise et l’on nous infantilise et l’on nous pénalise et, partant, l’on se ridiculise en ne sachant sur quel pied danser.
En attendant il y en a qui dansent pour se désennuyer mais tout le monde ne sait pas danser, tout le monde n’aime pas danser, découvrir que « je est un autre » n’est pas donné à tout le monde, il faut un mini minimum de poésie et la poésie n’est plus de mode, et tout le monde n’est pas l’autre qui danse, qui sait danser sans se prendre les pieds dans quoi que ce soit ; il y en a pour qui c’est impossible dans quelques mètres carrés. A fortiori dans leurs têtes.
Que les particuliers deviennent dingues, se disputent et même s’entretuent dans le huis-clos du confinement, le pouvoir ne s’en soucie guère. On se borne à inviter les femmes battues à aller se plaindre à la pharmacie. Encore faut-il pouvoir aller jusqu’à la pharmacie ! Et les violences verbales, les agressions psychologiques, les viols conjugaux, on s’en branle ? Oui, il y a de quoi être grossière : les incestes favorisés par la promiscuité, qui s’en préoccupe, en ce moment ? Une simple annonce gouvernementale rappelle les numéros de téléphone d’urgence pour les maltraitances, enfance en danger etc. Encore faut-il avoir accès au téléphone. Si le bourreau, la bourrelle sont en permanence à la maison, comment faire pour téléphoner ? Si, en dépit des consignes, on ne vous laisse jamais seule ou seul à la maison, femme ou enfant, même pour aller faire les courses, car on se méfie ? On ne veut pas que vous appeliez au secours, ça, c’est la règle du jeu. Les prédateurs serrent leurs proies.
De tout ce fatras émergent ça et là un semblant de philosophie, un arc-en-ciel de poésie, un éclat de rire, un apophtegme, une futile réflexion utile.
Même pour se déconfiner, comment, quand, pour mener quelle action, les Européens sont incapables de se mettre d’accord. L’Union européenne est en pleine désunion. Elle n’a jamais été aussi divisée qu’en matière de stratégie face à ce coronavirus. Chaque pays européen n’en fait qu’à sa tête, chacun pratiquant de son côté son petit confinement ou non, total ou non, amorçant, en ordre dispersé, chaotique et désespéré, et, partant, désespérant, son propre plan de déconfinement, sans aucune coordination avec les autres Européens, même pas les pays frontaliers.
Je me réjouis tristement de n’être pas la seule à le déplorer.
Sur ces entrefaites, en effet, voilà que le scientifique italien Mauro Ferrari, président du Conseil européen pour la Recherche, claque la porte de l’institution. Dans sa lettre de démission, publiée par le Financial Times, il explique avoir échoué à impulser une réponse scientifique européenne coordonnée contre le coronavirus et indique avoir « perdu foi dans le système lui-même ». Estimant que l’Union européenne ne joue pas son rôle dans la crise du coronavirus, le président démissionnaire cite plusieurs éléments à l’appui de ce constat : une absence de coordination des réponses à l’épidémie au sein de l’Union (certains, comme les Pays-Bas ou la Suède, ayant par exemple opté pour une stratégie quasi attentiste), une « opposition récurrente » aux initiatives de soutien financier à la crise (une réunion de l’Eurogroupe organisée mercredi 8 avril à cet effet vient d’échouer), les fermetures de frontières décidées de façon unilatérale, une synergie « marginale » des différentes initiatives scientifiques prises par les États-membres.
Pendant ce temps, en France, « l’économie entre en récession et l’épidémie “continue sa progression, l’heure du confinement va durer ”, a répété le gouvernement, alors que le pays entre dans son vingt-troisième jour de confinement et que le bilan quotidien des morts ne faiblit pas », dixit Le Monde.
Les gens sont las de cette inaction, de cette atmosphère malsaine, de cette fausse résistance passive, de cette passivité imposée, à attendre la contagion qui viendra ou ne viendra pas, la mort qui rôde, vous prendra ou ne vous prendra pas…
Je regrette demain.
Chaque jour davantage.
Confinée sur la terrasse de ma bonne vieille maison créole, je supplie : « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Vois-tu le déconfinement ? » Déconfite, je vois les fleurs qui rougeoient et les bananiers qui verdoient, toujours, chaque jour, au même endroit, et, signé Anne Onyme, piètre consolation, je reçois :
QUELQUES CHOSES QUE LE COVID 19 CLARIFIE :
1. Les États-Unis ne seraient plus le leader mondial.
2. La Chine aurait gagné la Troisième Guerre mondiale sans tirer de missile et sans que personne ne l’ait remarqué.
3. On ne se tourne vers Dieu qu’au moment où l’on en a besoin.
4. La prévention sauve plus de vies que d’agir au dernier moment.
5. Les travailleurs de la santé et les éboueurs valent plus que les footballeurs.
6. Les enfants occupent une place privilégiée dans la nature.
7. Le pétrole ne vaut rien dans une société sans consommation.
8. La mort ne distingue ni la race ni la couleur ni le statut social.
9. L’être humain est opportuniste et méprisable.
10. Les médias sociaux nous rapprochent, mais c’est aussi le moyen de créer la panique.
11. Nous savons maintenant ce que ressentent les animaux dans les zoos.
12. Les enfants d’aujourd’hui ne savent plus jouer sans Internet ni télévision.
13. Certains gagnent des millions et ne servent pas l’humanité.
14. Les agents de santé sont seuls, abandonnés et oubliés. Pourtant, ils n’abandonnent jamais.
15. Les enfants sont désormais éduqués en tant que libres penseurs par leurs parents.
16. Nous commençons à apprécier le grand geste de confiance que signifie se serrer la main.
17. Les humains sont les vrais virus de la planète.
18. La planète se régénère rapidement sans humains.
19. Nous ne sommes pas prêts pour une pandémie.
20. Les politiciens en profitent pour faire tapis pour impressionner les rivaux.
21. Nous devons investir davantage dans la santé plutôt que d’investir dans des banques en faillite.
22. L’argent du Vatican reste au Vatican.
23. L’Europe n’a aucun sens et n’est qu’une coquille vide.
24. L’alcool – sur les mains – sauve des vies.
25. Certains réalisent « un peu » ce que nos grands-parents ont vécu durant la guerre, mais sans les bombes ni la famine.
26. Il est préférable d’acheter une maison avec jardin plutôt qu’un appartement.
27. Nos anciens ont besoin de nous. Et nous, d’eux.
28. Au terme de cette pandémie le monde va changer.
29. Le digital n’est pas la vraie vie, le contact humain est nécessaire.
30. Il est important d’étudier l’histoire et de lire des livres. Le passé est la clef du futur.

Ibidem (qui signifie « au même endroit », en latin), contrainte et forcée, 23e jour de confinement, mercredi 8 avril 2020.

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